LP ebbing ice lines

Avec « ebbing ice lines », Pablo Diserens entre dans les entrailles mouvantes de la glace

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2025 marque la première World Day for Glaciers et l’International Year of Glaciers’ Preservation, initiative portée par l’UNESCO et l’Organisation météorologique mondiale pour rappeler que les glaciers ne sont ni lointains, ni figés, ni éternels… Dans cette dynamique, le label Forms of Minutiae clos sa série consacrée à la cryosphère avec ebbing ice lines, œuvre de Pablo Diserens ; un disque qui ne cherche pas l’illustration, encore moins la pédagogie : il prête seulement attention à ce qui fond

Construit à partir d’enregistrements réalisés sur plusieurs terrains du Low Arctic (Islande, Finlande, Norvège), le disque s’aventure au plus près de la glace, de ses respirations et de ses zones de tension. Dans le registre Field Recording l’artiste Pablo Diserens écoute les glaciers comme des corps traversés de flux, de bruits internes, de silences tendus. L’album ouvre des pistes, comment percevoir un monde qui bascule sans toutefois renoncer à l’intime, au sensible ?

Là où tout coule encore

Photo Pablo Diserens
Pablo Diserens DR

On entre dans ebbing ice lines comme on pose une main sur une paroi froide. L’ouverture, melt morphemes (supraglacial), a été enregistrée à Sólheimajökull, glacier islandais qui perdrait plusieurs dizaines de mètres par an. Ici, la glace crépite, relâche des bulles d’air prisonnières depuis des siècles ; un crépitement discret, presque anodin, qui évoque autant la fragilité que la vastitude. La scène est simple, une crevasse, de l’eau, un micro. Pourtant, l’impression est d’être au bord d’un monde qui hésite. Le son, lui, avance sans emphase, juste la matière, son souffle, son retrait. La glace parle, la terre répond. Au fil des morceaux, les paysages s’enchaînent comme des strates, avifaune, drones maritimes, vibrations de pipelines géothermiques, craquements de dérive.

Dans le morceau titre, les cris de lagopèdes se mêlent aux basses lointaines du fjord de Lyngen. On devine des territoires disputés entre le vivant et l’industriel, entre les rythmes de la glace et ceux des machines. Rien n’est binaire, Diserens ne dramatise pas, il juxtapose. Tout se superpose, oiseaux, souffle chaud des fumerolles, gémissements de blocs qui cèdent. Sur world in the process of making itself, enregistré en partie sur les sites volcaniques du Krafla et lors de l’éruption du Fagradalsfjall, le sol semble respirer par à-coups. La terre travaille. Le disque, ici, prend une tonalité tellurique, comme si les mêmes forces qui creusent la planète passaient à travers les membranes du micro.

« Tout d’un coup, avec le son, on est dans la glace. » — Pablo Diserens (entretien 4’33 Magazine)

Le glacier comme présence, non comme relique

Photo Pablo Diserens
Pablo Diserens DR

Les glaciers sont souvent décrits comme des archives, des conservatoires naturels du passé atmosphérique. Julie Cruikshank, dans Do Glaciers Listen?, rappelle combien ils ont longtemps été perçus comme « éternellement gelés, distants et inertes ». Mais ebbing ice lines se situe à l’opposé de cette vision. On n’écoute pas un vestige : on rencontre un corps. Un organisme immense, traversé de sons qui ressemblent tour à tour à des gargarismes d’eau, à des soupirs, à des tremblements. Ce n’est pas un requiem, pas une élégie. C’est une écoute partagée d’un être qui change d’état.

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Les lignes qui reculent. Le parcours se referme sur mapping moulins, retour à Sólheimajökull. Cette fois, Diserens marche sur la surface, aux abords des puits glaciaires. Le micro plonge, capte verticalement : ruissellements, frottements de crampons, résonances profondes. On sent une retenue, un équilibre fragile. La glace n’est jamais vraiment silencieuse ; elle se contente d’attendre que quelqu’un prenne la peine de tendre l’oreille. En refermant ce cinquième volume de la série Art for Glaciers Preservation, une évidence s’impose : ce que Diserens propose n’est pas une injonction. C’est un geste. Un espace de perception. Dans un monde saturé de discours sur le climat, ebbing ice lines rappelle que l’écoute reste l’un des rares actes encore capables d’ouvrir un passage entre nous et ce qui nous dépasse. Une respiration partagée, au bord du froid, au bord du temps.

Buy Me A Coffee

Fondateur de Houz-Motik, Cyprien Rose est journaliste. Il a été coordinateur de la rédaction de Postap Mag et du Food2.0Lab. Il a également collaboré avec Radio France, Le Courrier, Tsugi, LUI... Noctambule, il a œuvré au sein de l'équipe organisatrice des soirées La Mona, et se produit en tant que DJ.

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