Dans Bienvenue aux Paradis (éditions Souffle Court – 2023), Marc Bruimaud catapulte son alter ego Guy Misty dans l’au-delà
Vous pensiez le paradis lumineux, uniforme ? À votre arrivée, vous découvrez qu’il est, en définitive, plus complexe qu’une piètre image angélique véhiculée depuis des siècles. Si jusqu’ici Marc Bruimaud évoquait l’au-delà de manière fantomatique, c’est avec Bienvenue aux Paradis, son premier ouvrage de science-fiction, qu’il franchit le Styx de sa bibliographie. Dans ce recueil de nouvelles, par l’intermédiaire du personnage Guy Misty, il documente l’après-vie dans une conception inévitablement plus croustillante qu’une chimérique contrée enrobée d’une douce lumière blanche, où les âmes de soit disant justes jouiraient d’une béatitude éternelle, cheveux au vent sur des balançoires papillonnant entre les nuages ; avouez que cela aurait été dommage de passer à côté de cette infiltration dans le surnaturel !
Bienvenue aux Paradis
Dans les livres de Marc Bruimaud, parfois noirs mais jamais lugubres, il est quelques fois question de disparitions. Qu’il s’agisse de relations lointaines voire en fin de vie et, à l’évidence, de la mort, sa narration ne développe aucune angoisse particulière. Un seul fait demeure : le manque ! Ce vide relationnel post-amputatoire, chacun l’expérimente lors de trépas. Les liens du sang comme ceux des amitiés et des liaisons ne s’évaporent pas totalement, ils trouvent refuge dans un recoin, voire un quartier, de notre conscience. Adieu contacts physiques ; adieu dialogues, débats et correspondances… Les souvenirs nourrissent dès lors autant d’émotions, néanmoins orphelines d’un écho éternellement imperceptible.
Des questions agitent alors nombre d’esprits : retrouverais-je celles et ceux que j’aime ? Croiserais-je mes idoles ? Notez que le paradis céleste, ou le Royaume de Dieu, est à distinguer du Jardin d’Éden dont ont été chassés Adam et Ève dans la Genèse, et que la notion de paradis n’est pas exclusive au catholicisme, puisque c’est un concept présent dans pratiquement toutes les religions. À ce stade, mathématiquement, nous atteignons un minimum de deux paradis dont personne ne peut confirmer l’existence. On peut ainsi aisément supposer davantage de destinations, ou peut-être un lieu qui en cacherait beaucoup d’autres…
Nous avons demandé à une intelligence artificielle de créer deux images du Paradis (sans Dieu, ni anges ni nuages…). L’IA considère-t-elle le Paradis comme un endroit bucolique, paisible et non urbain ?
Extrapolation de données
C’est un voyage pour le moins atypique que propose Marc Bruimaud, inspiré ici par l’idée du “Paradis des Ecrivains”, Writer’s Heaven, un cycle de l’écrivain et éditeur américain Barry N. Malzberg dont les écrits, comme ceux de Kafka, évoquent des thèmes qui déshumanisent le monde, comme la technologie et la bureaucratie ; cette dernière aurait même pris les commandes du paradis… Peut-être parce qu’il ne se sent pas franchement en phase avec les conventions et l’évolution des sociétés de “l’Ailleurs-Bas” (notre monde dans son bouquin), ou peut-être parce qu’il pense à son inéluctable départ, qu’on souhaite le plus tard possible pour lui et sa famille, l’auteur dévoile l’exponentielle fragmentation d’un nirvana.
Guy Misty, son alter-égo en littérature, peut ainsi s’éterniser avec ses contemporains et, immanquablement, rencontrer les personnes qu’il admire, évidemment des écrivains aux univers singuliers, des VIP tels que Bukowski, Ballard, Burroughs ou encore Duras mais aussi des personnalités incontournables comme le peintre Double P. Le cinéphile qu’il est n’allait certainement pas faire la fine bouche pour y croiser l’élite de ses cinéastes adorés, dans son “Ici-Haut”, Damiano, mais aussi l’univers de Carpenter et de Lynch. Ce voyage n’est décidément pas banal, les plus perspicaces de nos lecteurs remarqueront que dans cette liste, non exhaustive, figurent des noms de vivants ! Un joli tour de passe-passe, et des personnages disparus ?
Camp de base
Si l’auteur publie dans un genre différent de ses précédents travaux, il ne s’affranchit toutefois pas de ses thèmes de prédilection, encore moins de ses obsessions et des personnages qu’il chérit. Les lecteurs de Bruimaud savent qu’ils peuvent évidemment compter sur lui pour les trimballer de surprise en surprise. Chaque nouvelle offre ainsi la découverte d’espaces probablement improbables où, par ailleurs, les inconditionnels du jeu Second Life ne se sentiraient franchement pas étrangers. Les nécessaires contraintes techniques qu’impose ce registre qu’est la “science-fiction”, Bruimaud s’en amuse !
L’essence et la créativité de son travail ne s’estompent pas, il se délecte comme jamais de ces aventures aux audacieux effets miroir avec “l’Ailleurs-Bas”, se jouant logiquement des réalités, comme dans la nouvelle Catalpaland qui ne manquera pas de poser un sourire sur le visage des amateurs de son précédent cycle. Chaque nouvelle est donc insolite et référencée, cela va s’en dire. Une question s’impose cependant : qu’adviendra-t-il de Guy Misty ? Est-ce la fin de ses aventures ? Que nous réserve donc Bruimaud ? Vous en saurez davantage en lisant ce recueil, paru aux éditions Souffle Court, et dont le format s’adapte parfaitement à un sac de plage, à la terrasse d’un café ou à une table de chevet…
Enfin, puisque le cinéma est l’une des autres grandes passions de Marc Bruimaud, on vous encourage également à découvrir, ou à revoir, La Porte du paradis (Heaven’s Gate, 1980), un film américain de Michael Cimino, d’une durée de 3 heures et 39 minutes, avec Kris Kristofferson, Isabelle Huppert et Christopher Walken…
L’auteur
Marc Bruimaud est un écrivain, critique (littérature, cinéma, télévision, arts visuels, musique), scénariste et vidéaste français, qui travaille également dans le domaine de l’art contemporain, sur la base d’installations multimédias. Il est connu des amateurs de supercheries littéraires sous le pseudonyme de Guy Misty. Marié successivement à Mary-Lise Billot (1987-1997) puis Nelly Defaye (depuis 2005), il est le père de deux filles, Lilas (née en 1995) et Edda (née en 2006). Il vit actuellement à Limoges.
Bonus : à chacun ses paradis…
L’IA étant l’une des tendances du moment nous avons, par simple divertissement, demandé à ChatGPT d’écrire une histoire qui se déroule au(x) Paradis. Seulement, et on l’aurait parié, ces quelques paragraphes sont un aggloméré de niaiseries classiques, calquées sur les plus communs des clichés à ce sujet, dont le résultat se trouve ici. Puisque nous pouvons, toutes et tous, pleinement fantasmer notre après-vie dans un “Ailleurs-Haut”, nous avons, sans l’aide d’une IA, inventé une histoire courte…
Imaginez un instant, un défunt rapplique et demande : “Le Paradis, c’est ici ?”. À quelques mètres de lui, un autochtone en pleine compétition de domino se retourne et répond : “Non, c’est à côté…” (vous avez la réf ?). Le voyageur semble confus, alors le local de l’étape enchaîne : “Enfin, tout dépend de quel paradis on parle hein… Parce qu’y en a pas qu’un, figurez-vous ! Ici, c’est le camp de base de ceux qui attendent leurs potes de bistrot, histoire de faire un tir groupé pour découvrir le reste ensemble, sorte de voyage de groupe si vous préférez…”.
“Vous devriez plutôt demander au Prévôt”, ajoute un autre, “après tout, c’est son boulot !”. Voyant le frais trépassé en totale déconfiture, le premier esquisse un hochement de tête en guise d’indication. “Lui, là-bas… En vrai, son prénom c’est Michel, mais nous on préfère l’appeler Michou, toujours partant pour remettre sa tournée… Demandez’ y, il accueille les bleus comme vous”. Il dévisage l’arrivant copieusement et ajoute “vot’ tête m’est pas inconnue, z’étiez pas au café des sports de Sainte-Eulalie-en-Born, dans les Landes, le 14 juillet 1996 ?”.
Et si, vous aussi, vous aviez rendez-vous au Paradis, qu’elle serait votre histoire ? Partager vos idées en commentaire…
